Entrons dans la danse

Entretien avec Hubert Hazebroucq et Guillaume Jablonka, respectivement chorégraphe et maître de ballet du Malade imaginaire.

Le chorégraphe Hubert Hazebroucq et le maître de ballet Guillaume Jablonka ont donné corps aux intermèdes du Malade imaginaire à travers la restitution de chorégraphies baroques au plus près des sources historiques. 

1- Hubert Hazebroucq, chorégraphe       2- Guillaume Jablonka, maître de ballet

Hubert Hazebroucq
Guillaume Jablonka

Quels sont vos parcours et quels liens entretenez-vous avec le Théâtre Molière Sorbonne ? 

Hubert Hazebroucq : Chorégraphe et danseur, je me suis spécialisé dans les répertoires du milieu du XVe jusqu’à la fin du XVIIIe siècle. J'ai mené une recherche spécifique sur la poétique et la technique de la danse des années 1670. J’enseigne aussi pour des musiciens et des danseurs, comme au Conservatoire à rayonnement régional de Paris ou au sein du Théâtre Molière Sorbonne dans lequel j’interviens depuis plusieurs années. Avec la bande de violons et les danseurs de la troupe, nous travaillons sur la relation entre les répertoires musicaux spécifiques à la danse et la pratique chorégraphique. Pour le Malade imaginaire, j'ai eu la charge de recréer les chorégraphies.

Guillaume Jablonka : Après une formation classique, j’ai découvert la danse baroque et créé, en 2006, la Compagnie Divertimenty. J’ai participé à la fondation du Théâtre Molière Sorbonne, d’abord en proposant une initiation à la danse baroque au sein de l'atelier culturel, puis en tant que maître de ballet. Nous avons constitué une troupe de danseurs, que je forme dans une démarche historiquement informée, pour accompagner les spectacles. J’assiste également Hubert dans l’écriture chorégraphique. 

Quel était le rôle des parties dansées dans Le Malade imaginaire ? 

H. H. : Cela varie. Dans certains intermèdes, comme celui des Maures, la danse a une fonction d’évocation poétique. C’est une sorte de versant visuel au versant chanté, qui participe à la démonstration de joie et la célébration du plaisir évoquées par le texte. Par contre, dans le premier intermède, les danseurs prennent réellement part à l’action. Dans le final enfin, la danse est une sorte d'amplification grotesque de ce qui se joue dans la cérémonie d’intronisation. 

G. J. : Durant toute la pièce, les danseurs sont masqués. Ils ne représentent pas des personnages individualisés, mais des catégories de personnes types caractérisées notamment par les accessoires qu’ils portent : les scalpels des chirurgiens, les seringues des apothicaires, etc.

Quels sont les spécificités et les codes des danses baroques de l’époque de Molière ?

H. H. : Il n’y a pas de signification littérale du mouvement : il s’agit donc plus d’un style que de codes. Le système postural est marqué par le redressement et l’ouverture du corps, manifeste dans l'en-dehors (rotation externe) des jambes, et associé aux canons d’une présentation de soi noble. Le mouvement se fonde sur l’accentuation de la dimension verticale de la marche, la recherche de la légèreté, une relation très fine avec la musique et ses rythmes, et un travail de symétrie dans un espace réglé. Sur scène, des accessoires sont fréquemment employés tant pour caractériser les personnages que comme support pour des gestes. 

Il n’y a pas un art au service d’un autre : tous servent le même projet.

Hubert Hazebroucq

Sur quelles sources vous-êtes-vous appuyés pour restituer les chorégraphies de l’époque ?

H. H. : L’enjeu du projet du Malade imaginaire n’est pas seulement de refaire des chorégraphies, mais aussi de mettre en œuvre les ressources scientifiques documentaires historiques. Ce travail au plus près des sources, avec lequel Guillaume et moi sommes depuis longtemps familiers, permet de proposer des pratiques encore inexplorées dans la danse baroque. 
Nous avons procédé par inférence à partir de sources chorégraphiques et musicales, de traités, qui expliquent la technique et donnent des éléments contextuels, et de sources dramaturgiques, comme les livrets de ballets. Nous avons également consulté des sources iconographiques et historiques, comme des témoignages de contemporains.

G. J. : Notons qu’à l’époque il n'y avait pas de femmes dans les danses théâtrales en dehors des contextes de Cour. À l’inverse, nous avions dans la troupe du Théâtre Molière Sorbonne, une majorité de danseuses qui se sont prêtées au jeu d'interpréter des personnages masculins comme les médecins, chirurgiens, Maures... Et l’illusion théâtrale a très bien fonctionné.

Comment s’est passée la collaboration avec les musiciens et les acteurs ? 

H. H. : Il n’y a pas un art au service d’un autre : tous servent le même projet. Il faut donc trouver le moyen que chaque discipline exalte l’autre. La collaboration avec le musicologue et claveciniste, Matthieu Franchin, et la violoniste, Hélène Houzel, a été, en ce sens, très productive. À partir des partitions musicales, nous avons fait un important travail pour arrêter ensemble des choix d'interprétation qui faisaient sens pour tous. 

G. J. : Nous avons ensuite travaillé chacun de notre côté les partitions et les chorégraphies. Puis, nous nous sommes retrouvés avec les musiciens et les acteurs pour faire un tuilage de l’ensemble du spectacle lors des dernières répétitions.

Comment s’est déroulé le travail de préparation des danseurs et des acrobates ? 

G. J. : Avec le soutien de la direction des affaires culturelles de la faculté des Lettres et le service universitaire des activités physiques et sportives, nous avons lancé en 2019 une classe de danse baroque. Interrompu pendant la crise sanitaire, ce cours a repris à travers un stage de découverte, en septembre 2021. Dans la perspective du Malade imaginaire, nous avions la volonté d’inclure des étudiantes et étudiants de Sorbonne Université et des danseuses et danseurs en voie de professionnalisation issus d’autres institutions.

H. H. : Parmi les participants, sept danseuses et danseurs et deux acrobates ont choisi de s’investir dans le projet. J’ai ensuite écrit les chorégraphies en fonction des personnages de la pièce bien sûr, mais aussi de la sensibilité et de la technique de chaque danseur. J’ai fait en sorte que chacun ait un petit défi qui lui ouvre de nouvelles perspectives. 

G. J. : Chacun a travaillé de son côté pour apprendre la chorégraphie. Puis nous nous sommes vus les week-ends et pendant les vacances pour répéter. La densité de la combinatoire et l’enchainement des pas a demandé un gros travail de mémorisation et une certaine virtuosité dans la relation à la musique. Au fur et à mesure des répétitions, nous avons rajouté de nouveaux éléments : les costumes, les accessoires, les décors, les lumières, etc.  L’objectif de ce projet était aussi de préparer ces jeunes artistes bénévoles à la vie active à travers des conditions d’entraînement et de représentation quasi professionnelles.

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