Une comédie dans le bon tempo

Rencontre avec Matthieu Franchin, claveciniste et doctorant en musicologie à Sorbonne Université, et Hélène Houzel, violoniste spécialiste des bandes de violons au XVIIe siècle.

Matthieu Franchin, claveciniste et doctorant en musicologie à Sorbonne Université, et Hélène Houzel, violoniste spécialiste des bandes de violons au XVIIe siècle, ont travaillé conjointement pour faire entendre la musique de Marc-Antoine Charpentier originellement composée pour le Malade imaginaire. Rencontre.

1- Matthieu Franchin au clavecin      2- Hélène Houzel bat la mesure

Comment musique et théâtre s’articulent-ils dans la pièce ?

Matthieu Franchin. : Molière et Charpentier ont voulu créer un dialogue entre théâtre, musique et danse, trois arts qui se répondent tout au long de la pièce sur un pied d'égalité. La comédie-ballet n'est pas un genre en soi, mais une forme de spectacle en constante évolution qui résulte de la rencontre entre ces trois arts. Le Malade imaginaire en est un parfait exemple : c’est une pièce qui ne ressemble à aucune autre des comédies-ballets de Molière. Elle invente de nouvelles façons de combiner théâtre, musique et danse. On peut y voir un travail d’avant-garde, mais aussi une réponse à Lully, qui vient tout juste de s’emparer du privilège de l’Académie royale de musique et est sur le point de présenter sa première tragédie en musique.
À travers Le Malade imaginaire, Molière et Charpentier montrent tout ce dont ils sont capables. Chaque intermède décline une tonalité propre : un style pastoral dans le prologue, une sorte de comédie italienne dans l'intermède de Polichinelle, un divertissement galant avec les Égyptiens, qui n’est pas sans évoquer l’univers du ballet de cour, et un divertissement comique à la française dans la cérémonie finale burlesque.

Quel est le rôle des intermèdes musicaux dans le Malade imaginaire ?

Hélène Houzel : Chaque intermède est un petit spectacle en soi avec son ouverture instrumentale, son autonomie et sa force propres. Chacun est différent. Le premier, virtuose du point de vue de l’écriture, et centré autour d’un personnage della commedia dell’arte, est une comédie où théâtre et musique interagissent beaucoup avec des découpages très rapides entre l’orchestre, Polichinelle et les chanteurs. Le prologue, qui annonce les enjeux de la pièce, est purement musical et poétique. Véritable moment de grâce, l’intermède des Maures illustre le bonheur et le plaisir et sert le discours de la pièce. L’intermède final, quant à lui, est complètement intégré au déroulement de la pièce et mélange pleinement théâtre et musique avec une action tantôt parlée, tantôt chantée.  

Comment avez-vous collaboré avec les autres corps de métier pour préparer le spectacle ? 

H. H. : Matthieu est intervenu en tant que musicologue et moi en tant qu’artiste dans la direction musicale. Avec le chorégraphe, Hubert Hazebroucq, nous avons fait un travail de fond sur la dramaturgie des intermèdes, la façon de mettre en scène la danse et le chant, mais aussi pour trouver les bons tempi métronomiques et faire coïncider les coups d’archets des musiciens avec les appuis des danseurs. 
De par sa vocation pédagogique, ce spectacle nous a permis de prendre le temps nécessaire pour approfondir notre démarche avec les étudiants musiciens, acteurs et danseurs et les faire jouer ensemble dans une respiration commune.

Chaque intermède est un petit spectacle en soi avec son ouverture instrumentale, son autonomie et sa force propres.

Hélène Houzel

Sur quelles sources vous-êtes-vous appuyés pour donner à entendre la musique telle qu’elle était jouée en 1673 ?

M. F. : Pour la musique du Malade imaginaire, nous avons la chance de l’avoir, en grande partie, de la main directe de Charpentier : elle se trouve, presque intégralement, dans les Mélanges du compositeur, la somme de ses manuscrits autographes aujourd’hui conservés à la Bibliothèque nationale de France. Ces manuscrits sont complétés par d’autres sources musicales qui se trouvent à la Bibliothèque-musée de la Comédie-Française. À ces partitions s’ajoutent les sources d’archives, registres de compte, factures de la troupe de Molière et de la Comédie-Française : elles contiennent de nombreuses indications sur les instruments de musique utilisés, les effectifs des orchestres, l’identité des chanteurs et la façon dont ces intermèdes ont pu être mis en scène à la fin du XVIIe siècle. 

H. H. : Pour l’exécution musicale elle même, nous nous sommes appuyés sur différents traités où sont décrits les pratiques de cette époque : coups d’archets, ornements, justesse et posture avec l’instrument. La tenue d'archet, spécifique du violon français de la fin du XVIIe est clairement documentée. En revanche, les sources divergent quant à la tenue du violon. Nous avons donc fait un choix à partir de la lecture des traités : celle d’une tenue basse qui permet un jeu très dynamique adapté à la danse. 

Vous avez dirigé l’orchestre dos aux musiciens et face à la scène. Quels étaient les codes de la direction d’orchestre de l’époque ?

H. H. : Le chef d'orchestre ne dirige pas que l’orchestre, il dirige la musique y compris celle du plateau en garantissant la cohésion entre la scène et les musiciens. Il faut donc pouvoir suivre ce qui se passe sur scène. Le fait de tourner le dos aux instrumentistes leur donne aussi une plus grande responsabilité : on ne peut pas faire les gros yeux quand quelqu'un se trompe. À l’époque, il n’y avait d’ailleurs pas ce rapport d’autorité, qui s’est installé au fil du temps, entre chef d’orchestre et musiciens.

Quels instruments trouve-t-on dans l’orchestre ? 

M. F. : Pour la représentation que nous avons donnée à Versailles, l’orchestre était constitué d’une bande d’une vingtaine de violons auxquels se sont ajoutés des clavecins et des théorbes pour accompagner les chanteurs. Il s’agit très exactement de l’instrumentation utilisée lors de la création au théâtre du Palais-Royal en 1673 par la troupe de Molière. Au niveau des effectifs, nous avons opté pour un plus grand nombre d’instrumentistes que ce qui était pratiqué au moment de la création afin de nous adapter à la taille et à l’acoustique de l’Opéra royal de Versailles, beaucoup plus grand que ne l’était la salle de Molière. 

H. H. : Nous avons fait fabriquer des archets courts adaptés à la musique française de la fin XVIIe siècle et tout à fait nouveaux pour les étudiants. Cela a permis de faire un travail fin sur l'articulation et la dynamique de la bande de violons. 

Comment s’est passé le travail avec les musiciens étudiants ?

H. H. : Les musiciens sont des étudiants ou des professionnels qui souhaitent se spécialiser en musique ancienne. Ils viennent de conservatoires franciliens, lyonnais et belge. Avec un petit noyau d’instrumentistes, nous avons fait un travail de fond sur les phrasés, le rythme, la gestion de l'énergie, la tenue de l’archet et du violon, etc. Puis avec l’ensemble des musiciens, nous avons pu mettre en pratique, durant les répétitions, ce que nous avions expérimenté. Le violon baroque demande une technique particulière. Ils ont donc tous travaillé dur pour arriver au résultat final.

La direction musicale

En parallèle de sa formation de claveciniste au Conservatoire national supérieur de musique et de danse de Lyon, Matthieu Franchin fait une thèse à Sorbonne Université sur la musique et la danse à la Comédie-Française aux XVIIe et XVIIIe siècles. C’est pour mettre en application ses recherches qu’il a participé à la fondation du Théâtre Molière Sorbonne en 2017, en assurant la direction scientifique de la musique.

Hélène Houzel est violoniste et enseignante, elle est spécialiste du violon baroque et plus particulièrement de la pratique de la bande de violons. Elle assure aujourd’hui la direction de la bande de violons du Théâtre Molière Sorbonne.

Depuis 2020, ils travaillent ensemble pour restituer la pratique des bandes de violons afin d’accompagner les différentes manifestations de la troupe du Théâtre Molière Sorbonne.
 

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