« Une robe de docteur nous prenait deux jours et demi de travail en moyenne »

Cheffe costumière, Delphine Desnus a supervisé l’ensemble de la réalisation des costumes sur le Malade imaginaire, présenté en avant-première à l’Opéra Royal de Versailles en mars 2022. Celle qui accompagne le Théâtre Molière Sorbonne à l’année nous raconte l’énorme travail accompli pour créer ces sublimes costumes historiquement informés.

Quel est votre parcours ?

A 18 ans, je suis montée sur scène comme comédienne mais ce n’était pas concluant. Très vite, on m’a proposé de faire des costumes et ça a été une révélation. J’ai pu à la fois combiner mes passions pour le théâtre et la couture. J’ai pratiquement tout appris sur le terrain, et en 1996, je suis officiellement devenue costumière de théâtre. J’ai beaucoup travaillé pour la comedia del arte avec déjà une approche sur le costume historique du XVIe siècle. Puis, au fur et à mesure de mes expériences, ce goût pour le costume d’époque s’est davantage prononcé.

Comment êtes-vous arrivée sur le projet de revisiter le Malade imaginaire comme autrefois ?

J’ai rencontré Mickaël [Bouffard, co-directeur scientifique et artiste du Théâtre Molière Sorbonne] en 2013. A l’époque, il m’avait passé commande d’un costume du XVIIIe d’après un dessin de Louis-René Bocquet1. On a beaucoup aimé travailler ensemble et à partir de cet instant, on a entamé une démarche de costumes historiquement informés. 

Tous les costumes ont été fabriqués en France dans les locaux de l’Inspé2 ?

Effectivement ! J’avais monté un atelier d'octobre à mi-janvier avec une douzaine de costumières. Une costumière de Suisse est aussi venue renforcer nos rangs bénévolement le temps d’une semaine. Elle voulait découvrir les techniques anciennes de confection des costumes. 
De manière générale, dans l’atelier, il n’y avait que des professionnelles du métier disposant d’une formation en costume classique avec un intérêt pour les costumes historiques.
Ce qu’il faut savoir c’est que tout est fait à la main hormis les gros montages comme les panneaux de jupes. Les finitions sont faites à la main, les points de couture doivent se voir sur l’endroit du vêtement, contrairement aux habits actuels. Les rendus sont très différents entre un costume fait à la main et un costume fait à la machine.

A ce propos, comment avez-vous participé au travail de recherche sur les costumes ?

J’ai fait une recherche en parallèle de celle de Mickaël. Lui m'amenait sa base de travail, c'est-à-dire les documents de Henri Gissey, le dessinateur de décors et de costumes de Molière. Puis, à partir de sa sélection, je faisais une recherche plus technique dans les vêtements anciens dont nous disposions déjà et dans l'iconographie pour retrouver les volumes exacts des costumes, les techniques employées… Dans la création de costume, on monte un dossier iconographique pour asseoir le personnage, lui donner du corps. J’ai vraiment cherché le plus de précision possible dans les gravures, les peintures et dans quelques documents écrits qui m’ont servi à trouver les matières utilisées par exemple. C’est un sacré travail d’enquête pour arriver à mettre la main sur des tissus similaires à ceux de l’époque. 

Dans la création de costume, on monte un dossier iconographique pour asseoir le personnage, lui donner du corps.

Combien de temps a été nécessaire pour fabriquer chaque costume ? 

C’est difficile de quantifier car tous les costumes sont uniques. Nous les avons confectionnés sur une période de six mois, et ce n’est pas fini ! Il nous reste encore beaucoup de travail et des éléments à affiner pour les prochaines représentations. En ce moment, par exemple, j’ai une stagiaire du lycée des métiers des arts, du spectacle et de la création textile La Source qui est en train de poser des galons. Une classe de ce même lycée a par ailleurs confectionné, pendant toute une année, les cols à rabat. 

Quelle a été la plus grande difficulté que vous avez rencontrée ?  

Il y en a eu deux. D’abord, avec un élément du costume masculin appelé culotte à la royale. Malgré les peintures dont nous disposions, nous n’avons pas trouvé l’astuce pour la faire tenir correctement sur le haut de la jambe. Nous n’avons donc pas réussi à totalement reproduire le volume recherché et son maintien. Il y a eu aussi quelques difficultés avec les costumes des acrobates déguisés en singe dans l’intermède musical ? Il a fallu trouver une solution pour qu’ils aient une liberté de mouvement dans leur costume, un certain confort. Nous avons dû trouver la meilleure façon d'adapter leur habit à leur rôle.

Quel est votre costume préféré ? Celui que vous avez préféré confectionner ? 

Je ne saurais vous dire, je les aime tous. Il y a de belles surprises sur chacun d’entre eux comme l’association de la peau de chèvre à de la soie ou toutes ces plumes colorées sur les costumes des Maures… Le rendu est magique !

Celui qui a demandé le plus de travail ?

Les séries nous ont donné le plus de fil à retordre comme la série des docteurs. Une seule robe de docteur nous prenait deux jours et demi de travail en moyenne, sachant que nous en avions neuf à fabriquer. 
Au tout début de l’atelier confection, il a aussi fallu que nous cousions toutes les chemises, qui sont très présentes dans le costume du XVIIe. C’était un gros chantier avec toutes les finitions faites main dont une petite broderie en bas de la chemise. Chaque costumière a une interprétation de cette broderie et y apporte sa patte. C’est là tout l'intérêt de coudre manuellement, on retrouve le travail de chaque costumière sur chaque pièce, comme c’était le cas au XVIIe siècle.

Qu’est-ce qui vous a plu dans ce projet ?

La possibilité d'aller loin dans la recherche, l'opportunité d'éprouver des techniques, de marier des tissus ensemble, de retrouver des gestes anciens… C’était magique ! C’était un bonheur de voir tous ces étudiants et étudiantes, si heureux d’être sur scène, et porter nos costumes.

 


1 Dessinateur et peintre de costumes au XVIIe siècle, peintre de Louis XV et Louis XV et Inspecteur des Menus-Plaisir dei Louis XV
2 Institut national supérieur du professorat et de l'éducation

Les costumes entrent en scène

Les costumes de Delphine et de son équipe prennent vie durant les différentes représentations du Malade imaginaire. Découvrez toutes les dates ici et  prenez vos places !